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La Petite Manufacture de Poèmes
28 juin 2012

Le bateau ivre Arthur Rimbaud

Le bateau ivre  (Arthur Rimbaud)

Récité par Philippé Léotard

http://www.youtube.com/watch?v=A3lpN6CqV3g

 

Récité par Gérard Philippe

http://www.youtube.com/watch?v=q9vfI-hadFE

 

 Le bateau ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles,


Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :


Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,


Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.


 

J'étais insoucieux de tous les équipages,


Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.


Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,


Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.


 

Dans les clapotements furieux des marées,


Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,


Je courus ! Et les Péninsules démarrées


N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.


 

La tempête a béni mes éveils maritimes.


Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots


Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,


Dix nuits, sans regretter l'œil niais des falots !


 

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,


L'eau verte pénétra ma coque de sapin


Et des taches de vins bleus et des vomissures


Me lava, dispersant gouvernail et grappin.


 

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème


De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,


Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême


Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;


 

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires


Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,


Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,


Fermentent les rousseurs amères de l'amour !


 

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes


Et les ressacs et les courants : je sais le soir,


L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,


Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !


 

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,


Illuminant de longs figements violets,


Pareils à des acteurs de drames très antiques


Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !


 

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,


Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,


La circulation des sèves inouïes,

Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !


 

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries


Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,


Sans songer que les pieds lumineux des Maries


Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !


 

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides


Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux


D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides


Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !


 

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses


Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !


Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,


Et les lointains vers les gouffres cataractant !


 

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !


Échouages hideux au fond des golfes bruns


Où les serpents géants dévorés des punaises


Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !


  

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades


Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.


- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades


Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.


 

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,


La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux


Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes


Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...


 

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles


Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.


Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles


Des noyés descendaient dormir, à reculons !


 

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,


Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,


Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses


N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;


 

Libre, fumant, monté de brumes violettes,


Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur


Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,


Des lichens de soleil et des morves d'azur ;


 

Qui courais, taché de lunules électriques,


Planche folle, escorté des hippocampes noirs,


Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques


Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;


 

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues


Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,


Fileur éternel des immobilités bleues,


Je regrette l'Europe aux anciens parapets !


 

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles


Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :


- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,


Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?


 

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.

Toute lune est atroce et tout soleil amer :


L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.


Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !


 

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache


Noire et froide où vers le crépuscule embaumé


Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche


Un bateau frêle comme un papillon de mai.


Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,


Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,


Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,


Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

 

Vocabulaire

haleurs : Ceux qui halent, remorquent un bateau à partir des berges.

haler : Remorquer un bateau / tirer avec force sur une corde

démarrées Qui ont rompu les amarres.

 amarres : cordes pour amarrer, c’est à dire accrocher, faire tenir un bateau à la berge.

 tohu-bohus : Bruits, tumultes

 falot : Synonyme de fanal : grande lanterne autrefois utilisée comme signal.

 sûres : Acides.

 grappin : Ancre de petite embarcation / crochet d’abordage.

 lactescent : Qui devient laiteux.

 bleuités Ayant une couleur laiteuse.

 rutilement : On dit aussi rutilance : caractère de ce qui est rouge ardent, ou qui brille d’un vif éclat (langage soutenu).

 rousseurs : couleur rousse / tache rousse sur le papier, dûe à l’humidité.Taches de rousseur : petits points roux sur la peau des gens aux cheveux roux.

 ressac : Choc des vagues qui se brisent entre elles après avoir heurté un obstacle.

 figement : Fait de se figer u d’être figé.

 volets : Panneau qui sert à fermer les ouvertures (fenêtres, portes).

 phosphores : Substances ayant la particularité d’être lumineuses dans le noir.

 vacheries : Familièrement, méchanceté ou chose désagréable.

 mufle : Extrémité du museau de certains mammifères (chevaux, vaches, ânes, etc…)

 florides : Qualifie une couleur rouge vif.

 glauques : D’une couleur entre le vert et le bleu.

 Léviathan : Monstre marin mentionné par la Bible. Ce nom avait été donné à un gigantesque bateau à vapeur anglais en 1853. (cf. Victor Hugo in La légende des siècles :  « Pleine mer »).

 bonace : Calme plat en mer, avant ou après l’orage.

cataractant : Du mot cataracte : Chute d’eau très importante, forte cascade.

 nacreux : Du mot nacre, nacré : irisé comme la couleur de la nacre (真珠の色).

 punaises : Insectes carnassiers des eaux stagnantes, à l’odeur fétide.

fétide : Odeur très désagréable).

 dérades : Sorties de rade.

rade : Bassin artificiel ou naturel dans lequel mouillent les navire. Pour un bateau, mouiller signifie jeter l’ancre, accoster.

 ineffables : Qu’on ne peut exprimer par des mots.

 roulis : Mouvements d’un bateau, d’un bord à l’autre.

 clabaudeurs : Malveillants.

 anses : Petites baies peu profondes. On peut imaginer que les cheveux sont les algues qui poussent dans ce genre de petite baies.

 éther : Le ciel, l’espace le plus pur (terme ancien).

 Monitors : Navires de guerre américains.

 Hanses : Anciennes compagnies maritimes et commerciales constituées au Moyen Age, entre certains pays d’Europe.

 lichen : Botanique : végétal formé par l’association d’un champignon et d’une algue vivant en symbiose.

Médecine : éruption cutanée de boutons prurigineux.

prurigineux : Qui provoque des démangeaisons (かゆみ)

 morves : Sécrétions nasales / maladie du cheval.

 lunules : Taches blanches sur les ongles en forme de demi-lune (爪の半月).

 hippocampe : タツノオトシゴ.

 trique : Gros bâton utilisé comme une arme.

 ultramarins : De couleur bleu outremer (ウルトラマリン).

 rut : Période pendant laquelle les mammifères sont entraînés par l’instinct de reproduction. / Famillier :  excitation érotique.

 Béhémots : Bêtes prodigieuses mentionnées dans la Bible.

 Maelstroms :  Gouffres marins.

 sidéraux : Sidéral : relatif aux astres, aux corps célestes.

 vogueur : Vieux mot pour rameur (quelqu’un qui rame pour faire avancer un bateau).

 vigueur : Force, énergie morale ou physique.

 âcre : Irritant au goût et à l’odorat.

 quille : Partie de la coque du bateau qui est sous l’eau et qui s’enfonce dans l’eau pour faire tenir droit le bateau.

 flache : Mare d’eau dans un bois, dont le sol est argileux.

Flaque d’eau stagnante.

 ponton : Plate-forme flottante, servant de débarcadère ou d’embarcadère.

Navire désaffecté servant de dépôt, de prison, etc…

 

Traduction

 

酔いどれ船拙訳

 

一隻の船である俺は悠然たる川を下っていく


もはや水夫たちが俺を操ることはない


 けばけばしいインディアンどもが奴らをひっ捕まえ


 色鮮やかな磔台に裸のまま釘付けにしたからだ

 

水夫たちのことは気にかけまい


 フランドルの小麦やイギリスの綿を運んだ奴ら


 奴らともども大波に飲まれた俺は


 いまはひとり気ままに川を下っていくのだ

 

昨年の冬のことだ 獰猛な海の裂け目に向かって


 子どものように夢中になって 俺は走った


 一艘の船だにもやわぬ半島は


 勝ち誇った叫び声をあげていた

 

 海の上で甦った俺を 嵐が祝福した


 コルクよりも軽く 俺は波頭を踊り狂った


 捕らえられたら永遠に逃れられぬ恐ろしい波


 十日の間 俺は灯台の光を頼りに迷い続けた

 

 甘酸っぱいりんごの果肉よりも更に甘く


 瑠璃色の水が俺の体内にしのびこんでくる


 ワインのしみも飛び散ったげろも洗い流し


 はしごも碇もさらっていく

 

 俺は海水にどっぷりとつかり 海の歌を聞く


 星空を映し出した海は群青色に輝き


 俺の青ざめた喫水線のあたりを


 溺れた男が夢見ながら流れていく

 

すると突然 海を青く染めながら 

 けだるくスローなリズムが日の光を浴びて


 アルコールより強烈に 音楽より心広く


 褐色の辛い愛を醸成する

 

 俺は稲妻が空を引き裂き


 海が迸り上がるのを見る


 夕べに続いて夜明けがきて


 さまざまなことどもが次々と起こった

 

 低く垂れた太陽は紫の斑をまとい


 神秘的な恐怖に彩られている


 波は古代劇の役者のように


 はるか遠くで鎧戸のきしむ音を立てる

 

 俺は夢見る 緑の夜は雪のように輝き


 ゆっくりと海に向かって接吻するのを


 かつてない生気がみなぎりわたり


 金色やブルーに 燐が揺らめき歌うのを

 

 来る月もまた来る月も 波のうねりが帆を叩く


 ヒステリーの牝牛の群れのように


 かのマリア様の輝ける足が


 海の轡など蹴飛ばしあそばさるのも知らずに

 

 かくするうちに 俺はフロリダにたどり着いた


 人間の皮にパンサーの目と花が混じりあった土地だ


 虹は引き伸ばされた手綱のように広がり


 水平線の下で羊の群れに溶け合った

 

 広大な沼地が沸騰し


 魚簗にかかったリバイアサンが腐りかけている


 静寂の中を水が渦巻き


 深淵に向かって流れ落ちていく

 

 氷河 銀色の太陽 真珠の波 灼熱した石炭色の空


 難破船の残骸が湾の底に横たわる


 蛆虫の餌食になった大蛇が


 捩れた枝から異臭を放ちながら落ちていく

 

 イルカたちを 子どもらに見せてやりたい


 青い海を泳ぐ 黄金の歌う魚たちよ


 あいつらの立てる飛沫が俺を揺さぶり


 言いようのない風が俺に翼を運んでくれる

 

 時には 極地の旅に飽きた順礼


 海のため息が俺の不安をなだめてくれる


 海が俺に向かって盛り上がると 

 俺はその上に横たわる 膝まづく女のように

 

 まるで島にいるようだ 俺のいる浜辺に向かって


 けたたましい鳥たちが糞をたらしていく


 俺はあてもなく漂流する


 溺れた男が索条を越えて船尾のほうへ流れていった

 

 俺は入り江の草むらの中で迷子になった船


 ハリケーンに吹き飛ばされ 鳥も飛ばない空中にさまよう

 
俺の残骸は 泥酔して水を被り


 海難監視船もハンザの船も助けてはくれぬだろう

 

 自由気ままに煙を吐き 紫色の霧から起き上がった俺は


 赤く染まった空の壁を突き抜ける


 そこには 詩人たちも美味だというものがある


 海の色と溶け合った太陽の苔瘡

 

 星々の電気を浴びて俺は走る


 竜の落とし子をエスコート役にして


 すると七月の大気は棍棒の一撃を以て


 ウルトラマリンの空を赤いジョウロに流し込むのだ

 

 俺はおののき 遠くにベヘモスのうなり声を聞く


またメールストレームの暗い深淵


 死をつむぎだす永遠の深淵を


 今の俺には懐かしいのだ ヨーロッパとそれを囲む古い墻とが

 

 だが俺は十分すぎるほど涙した 夜明けが痛い


 月は残忍で 太陽は昇るたびに辛辣だ


 愛が俺を飲み込んで麻痺させる


 船体よ裂けよ! 海の藻屑と消えん! 

 

 俺は散りばめられた無数の星を見る


 島々を空が覆い すべての船乗りを迎え入れる


 寝ているのかお前たちは この底なしの夜の中で


数知れぬ黄金の鳥たちよ 未来を生きるものたちよ

 

ヨーロッパに俺の浮かびたい水面があるとしたら


それは黒くて冷たい水たまり


悲しみに蹲った子どもが芳しい黄昏に向かって


5月の蝶のように壊れやすい船を浮かべる水たまり

 

 波よ お前の倦怠に漬かってしまった俺は


 もはや綿を運ぶ航海に出ることはできぬ


 旗やペナントをはためかして走ることも


 廃船を尻目に航海することもできぬ

 

 

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